Evaluation économique des produits de santé : retour sur le concept d’efficience
En 2020, la HAS a modifié le titre de ses avis, abandonnant le terme d’« avis d’efficience » pour celui d’« avis économique ».
Outre que cela intègre les analyses d’impact budgétaire, cette modification nous semble traduire un changement de paradigme sur les critères d’évaluation économique qui sont acceptés par la HAS.
Définition du critère d’efficience
En économie, l’efficience est un concept qui dépasse largement un rapport entre efficacité et coût qui traduisait la capacité à obtenir de bonnes performances ou un rendement dans un processus de production. Si on s’arrête à cette acception microéconomique du terme d’efficience, on peut à tort l’associer au simple calcul d’un ratio différentiel coût-résultat (RDCR).
Or, l’efficience économique est un concept tiroir, qui implique trois niveaux d’analyse.
« (1) La définition préalable de l’ensemble de toutes les solutions possibles techniquement » […].
(2) La définition au sein du domaine des possibles des seules solutions efficaces par application du principe de non-gaspillage […] qui consiste à rechercher les allocations des ressources disponibles telles que, pour chacune d’entre elles, il soit impossible d’obtenir avec la même quantité de facteurs (ou a fortiori avec une quantité inférieure pour au moins un facteur), une quantité supérieure d’au moins un des produits.
(3) La sélection parmi les solutions efficaces d’une solution considérée comme préférable ou solution optimale. […] Cette sélection implique l’introduction de critères de choix ou ‘critères de valeur’ ». (Rosier, 1970)[1]
Transposé à l’évaluation économique des produits de santé, le premier niveau consiste à identifier l’ensemble des options thérapeutiques cliniquement pertinentes dans l’indication étudiée. Le second niveau est celui de l’efficience technique ou productive, formalisée par la construction d’une frontière d’efficience reliant l’ensemble des options cliniquement pertinentes qui garantissent le principe de non-gaspillage. Le troisième niveau est celui de l’efficience allocative, qui permet de sélectionner les options thérapeutiques maximisatrices de la somme des bénéfices individuels sous contrainte budgétaire.
Conditions nécessaires à l’évaluation du critère d’efficience
La première condition à respecter pour être en mesure d’évaluer l’efficience est l’identification de toutes les options cliniquement pertinentes (niveau 1).
Dès 2011, cette condition a été inscrite dans le guide méthodologique de la HAS. L’omission d’un comparateur pouvant potentiellement modifier la frontière d’efficience entraîne le risque d’une mésestimation du RDCR du produit évalué, si ce comparateur est celui qui aurait dû être retenu pour estimer le RDCR sur la frontière d’efficience.
En conséquence, toute évaluation ayant pour objectif d’évaluer l’efficience d’un produit, mais qui échoue à prendre en compte toutes les options thérapeutiques dans l’indication, s’expose à une réserve. Entre 2014 et 2022, l’exclusion d’un comparateur a conduit la CEESP à émettre 33 réserves importantes et 10 réserves majeures. Ce motif représente près de 9% des réserves majeures émises sur cette période.
La seconde condition se rapporte à la définition de l’efficience allocative (niveau 3). Le RDCR estimé s’interprète en termes d’efficience allocative versus une valeur de référence, résultat d’un programme optimisateur de maximisation de la quantité de santé produite sous contrainte budgétaire. Une telle valeur de référence n’existe pas en France à ce jour[2],[3][4].
Les deux conditions sous lesquelles il est possible d’évaluer l’efficience, telle que définie par la théorie économique, sont extrêmement exigeantes et donc difficiles à remplir. Compte tenu de ce qu’elles impliquent, en particulier en termes de disponibilité de données et de méthode de comparaison indirecte, restreindre l’évaluation économique au seul critère d’efficience risque de la mettre dans l’impossibilité de remplir son rôle d’aide à la décision publique.
Reconnaître l’apport des évaluations économiques dans toutes leurs dimensions
La principale avancée du guide de la HAS de 2020[5] est de distinguer clairement l’évaluation économique du critère d’efficience : « Si le principal objectif de l’évaluation, promu par la HAS, est l’estimation de l’efficience, l’évaluation économique apporte également d’autres informations économiques importantes dont le décideur public va pouvoir se saisir ». Cette distinction a été réaffirmée en 2021 dans la doctrine de la CEESP[6] : « Si l’industriel démontre qu’il n’est pas possible, au regard des données disponibles, de définir la frontière d’efficience sur l’ensemble des options cliniquement pertinentes, la CEESP note l’absence d’évaluation de l’efficience du produit et analyse, le cas échéant, les résultats économiques fournis par l’industriel dans le cadre d’un objectif clairement redéfini ».
Lorsque l’on travaille sur le critère d’efficience, le comparateur sur lequel se fonde l’estimation du RDCR n’est pas déterminé a priori, il est produit par l’analyse. Lorsque l’analyse de l’efficience n’est pas possible, l’évaluation économique peut être conduite en référence à un comparateur déterminé par l’évaluateur en fonction de critères de pertinence à définir (option la plus courante en vie réelle, option la moins chère, etc.).
Ce RDCR apporte une information économique très importante, puisqu’elle permet de documenter le différentiel d’efficacité et de coût entre le traitement étudié et un comparateur d’intérêt, et contribue ainsi à expliciter l’arbitrage sous-jacent aux négociations de prix.
Les avantages associés à ce critère coût-résultat sont multiples.
- Les conditions méthodologiques sont moins strictes et cela expose moins souvent le décideur public à l’incapacité de recourir à une information économique pertinente. En particulier, la contrainte sur l’exhaustivité des comparateurs est levée, ce qui rend non systématique la réalisation de comparaisons indirectes complexes. En revanche, la pertinence du comparateur retenu pour estimer le RDCR doit être dûment justifiée.
- Dès lors, cette approche est plus cohérente avec la doctrine de l’évaluation de la CT (Commission de la transparence), qui requiert qu’un comparateur cliniquement pertinent ait été identifié pour estimer l’ASMR (Amélioration du service médical rendu).
- Enfin, la définition de la valeur de référence est également moins stricte. L’efficience allocative renvoie à un objectif de maximisation de la somme des bénéfices individuels sous contrainte budgétaire. Or, la résolution empirique de ce programme optimisateur soulève des défis méthodologiques à ce jour non résolus. L’interprétation d’un critère coût-résultat non défini en termes d’efficience allocative permettrait de s’affranchir du cadre optimisateur et pourrait reposer sur des approches telles que la disposition à payer ou toute autre approche acceptable socialement.
Conclusion
Compte tenu des contraintes méthodologiques à respecter pour évaluer et interpréter le critère d’efficience, ne considérer l’évaluation économique qu’à l’aune de ce seul critère risque de se traduire par la multiplication des réserves ou de l’incertitude majeures, conduisant à une discréditation de l’évaluation économique.
Une autre voie est possible.
Une première étape a été franchie par la HAS lorsqu’elle a rendu possible l’estimation d’un RDCR versus un comparateur d’intérêt.
Pour aller plus loin, l’analyse économique des produits de santé pourrait reposer systématiquement sur trois critères documentés par les analyses coût-résultat et d’impact budgétaire.
- La rentabilité, définie au sens de l’efficience productive, garantissant l’absence de gaspillage des ressources dès lors que le produit n’est pas dominé.
- La soutenabilité, définie au regard de l’impact budgétaire du produit (à 3 ou 5 ans comme recommandé par la HAS).
- L’acceptabilité sociale, définie au regard d’une disposition à payer.
Bien que cela ne résolve pas la question des valeurs auxquelles se référer pour interpréter les résultats produits par les analyses coût-résultat et d’impact budgétaire, cela permet de dresser le profil économique d’un produit de santé. Une interprétation réellement concomitante et réflexive de ces deux analyses permettrait d’exploiter tout le potentiel informationnel de l’évaluation économique, en produisant une information économique utile au décideur.
[1] Bernard Rosier (1970). Signification du principe d’efficience dans l’analyse technique de la croissance économique. Revue économique, 21(4), p. 597-634.
[2] Raimond V., Midy F., Thébaut C., Rumeau-Pichon C. L’évaluation économique des produits de santé innovants : Quelle interprétation pour quel usage ? Revue française des affaires sociales. 2016/3 ; pages 263 à 281.
[3] Téhard B, Detournay B, Borget I, Roze S, De Pouvourville G. Value of a QALY for France: A New Approach to Propose Acceptable Reference Values. Value Health. 2020 Aug;23(8):985-993
[4] Bertrand TÉHARD, Fabienne MIDY, Cléa SAMBUC, Julie CHEVALIER, Stéphane ROZE (Vyoo Agency). ces-asso.org/valeurs-de-reference-pour-levaluation-economique-des-technologies-de-sante-en-france-en-finir-avec-un-tabou
[5] HAS. Choix méthodologiques pour l’évaluation économique à la HAS. 2020. https://www.has-sante.fr/jcms/r_1499251/fr/choix-methodologiques-pour-l-evaluation-economique-a-la-has
[6] HAS. Doctrine de la Commission d’évaluation économique et de santé publique. 2021.